Les dimensions de la toile
La toile mesure environ 33 x 46 cm sur
son châssis. Les craquelures de la peinture sont cohérentes avec la datation de
1863, et ses craquelures en diagonale dans l’angle supérieur gauche sont probablement
dues à une mauvaise fixation de la toile sur son cadre (Teri Hensick, conservateur au Harvard Art
Museum).
Les dimensions de l’autre peinture
exposée en 1864, Le Vieux Chemin à Auvers sont identiques à
celles de cette toile. En outre, on connaît une œuvre antérieure exécutée par
Berthe Morisot (Ferme en Normandie, peinte en 1859-1860)
qui est de dimensions similaires.
La date d’exécution
Selon Teri Hensick, l’œuvre et le châssis correspondent parfaitement
avec la période, soit la seconde moitié du XIXe siècle.
Le professeur Anne Higgonet estime que le thème et le style
de la toile sont cohérents pour l’année 1863.
Gilles Perrault,
du Laboratoire d’analyse d’objets d’arts, à Paris, affirme que cette toile
représente sans conteste un exemple des débuts de l’impressionnisme, et qu’elle
est parfaitement dans l’air du temps de la période 1860-1870.
Delphine Montalant
est également d’avis que cette toile est une authentique œuvre impressionniste
de la période 1860-1880.
Le style
Berthe Morisot
a élaboré son style personnel à partir de son apprentissage auprès de
Jean-Baptiste Corot, et à travers
l’influence d’édouard Manet et d’autres impressionnistes. A
l’époque où elle a peint cette toile (1863), Corot
était au sommet de sa popularité, et le style de bien des premiers
impressionnistes a été comparé au sien. De fait, en 1863, on a fait le
rapprochement entre Claude Monet
et Jean-Baptiste Corot, lors de la
première exposition de Monet au
Salon, et il en a été de même pour Berthe Morisot lorsqu’elle a exposé
pour la première fois Souvenir des bords
de l’Oise au Salon de 1864, une comparaison qu’elle semble ne pas avoir
appréciée.
Théodore Duret
(Margaret Shennan, pp 290-291)
affirme que Berthe Morisot “connaissait Manet
en 1861, et avait été l’une des premières artistes à emprunter sa façon de
peindre avec des couleurs vives. ”
Bien que celle-ci ait peint des paysages
et des natures mortes, la majeure partie de son œuvre représente des
personnages, souvent environnés d’un paysage. Cette toile n’est donc pas représentative
de son style ultérieur, plus célèbre. Cependant, le fait qu’il s’agisse de
l’une de ses premières œuvres connues et que son style ait évolué par la suite
n’est pas une raison pour qu’on la considère comme atypique. Il semble en effet
que la transition qu’elle opérera plus tard vers des représentations de
personnages, souvent figurés dans des parcs ou des jardins, soit l’une des
raisons pour lesquelles cette toile a longtemps été ignorée. Cependant, Souvenir des bords de l’Oise est de la
même veine que le célèbre Le Vieux Chemin à Auvers, peint à la même époque.
Tous deux représentent des paysages comportant des silhouettes humaines
d’importance secondaire, esquissées avec légèreté, et ils sont de dimensions
identiques.
Cette toile comporte toutes les
caractéristiques de l’impressionnisme. Ses couleurs sont plutôt rares pour
l’époque (sans doute plus lumineuses que celles de Corot ou des peintres de Barbizon), les silhouettes sont
suggérées au lieu d’être exécutées dans le détail : il s’agit manifestement
d’une œuvre peinte sur le motif, et non d’un travail fini en atelier.
L’alignement d’arbres à l’arrière-plan peut être comparé à celui de Paysage des environs de Valenciennes,
1875 (Catalogue raisonné n°58).
En 1865, Berthe Morisot expose au Salon
un portrait, étude, qui figure ici en figure 3.1 à côté de Souvenir des bords de l’Oise , 1863
(fig 3.2). Charles Stuckey, en
page 21 de son ouvrage Berthe Morisot,
Impressionniste, remarque qu’elle a choisi un rouge vif pour le ruban dans
les cheveux du modèle d’étude. L’utilisation d’un pigment
rouge pour ce ruban est en parfaite cohérence avec le choix retenu pour les
vêtements de la femme et les nuances du ciel dans Souvenir des bords de l’Oise. Il semble que Berthe Morisot ait eu un faible pour le rouge à
cette époque, attirance qui pourrait trahir l’influence de Manet, comme le signale Margaret Shennan dans le commentaire ci-dessus,
que l’on doit à Théodore Duret.
Les critiques d’art formulent
un certain nombre de commentaires lors de l’entrée des sœurs Morisot au Salon de 1864, dont le seul
qui décrive leur travail, bien que de façontrès générale, est dû à Edmond About, qui écrit dans le Petit Journal (Paris) en 1864 :
“Je passe rapidement sur les jolies
pochades de mesdemoiselles Berthe et Edma Morisot.” (Catalogue
raisonné n° 78)
Ceci est surprenant car le
professeur Anne Higgonet pensait Le Parc “trop petit et trop sommaire ” pour être la toile exposée au
Salon sous le titre Souvenir des bords de
l’Oise (voir Le rapport d’analyse).
Ce point est cependant confirmé de façon
catégorique par Gilles Perrault,
qui affirme qu’on ne peut mettre en doute le fait que cette peinture ait pu
être considérée comme une pochade dans le contexte du Salon des Beaux-Arts dans
les années 1864 (voir ci-dessous).
Le commentaire d’Edmond About semble ajouter du crédit à la
possibilité que cette toile soit celle, longtemps perdue, qui a été exposée au
Salon en 1864.
L’avis d’un expert
Yves Rouart a émis l’avis que les coups de
pinceau étaient trop lourds pour être de Berthe Morisot, en particulier sur la gauche de la toile, et que
les couleurs étaient inhabituelles, en particulier les rouges vifs. Cette
opinion rencontre un écho chez Delphine Montalant,
qui affirme cependant que la rivière et le ciel semblent correspondre à la
manière de l’artiste.
Tous deux sont d’accord, en
particulier Delphine Montalant,
sur le fait que cette toile est une authentique peinture impressionniste de
cette période, qu’ils datent des années 1860-1880 en se fondant sur la finesse
du support et l’âge apparent de l’ensemble.
Le terme “pochade” a donné
lieu à bien des commentaires. D’après Yves Rouart,
la toile est une œuvre achevée et non une simple esquisse. Ce point est bien
sûr très important, si l’on considère que le seul témoignage de première main
dont on dispose sur ce tableau est le commentaire, cité ci-dessus, formulé par
Edmond About.
D’un autre côté, Gilles Perrault affirme catégoriquement que
cette œuvre peut fort bien avoir été considérée comme une pochade dans le
contexte du Salon de 1864.
“La
plupart des toiles exposées étaient de grandes dimensions, et extrèmement
travaillées. Ceci explique les signatures de certains tableaux soient
étonnamment grandes lorsqu’on les regarde aujourd’hui. Il faut savoir que la
plupart de ces œuvres étaient accrochées très haut sur les murs du Salon.
Les
tableaux de Berthe Morisot, du
fait de leurs petites dimensions, étaient probablement à hauteur des yeux.
Dans le contexte du Salon, cette toile est effectivement une “pochade”. De plus, la toile avait probablement un cartouche en
métal identifiant l’artiste et le nom de l’œuvre. Il est très possible que la
peinture n’ait pas été signée pour cette raison.”
Coups de pinceau et palette
Une observation attentive des coups de
pinceau de cette toile montre de forts empâtements horizontaux et verticaux.
Bien que plus épaisses que sur ses œuvres plus tardives, ces touches
préfigurent déjà la manière plus lâche et associant diverses orientations que
l’artiste adoptera par la suite. De ce point de vue, une observation attentive
révèle une étonnante similitude entre cette toile et Eugène Manet et sa fille au Jardin,
qui date de 1873. Cette dernière œuvre comporte un certain nombre
d’empâtements, et l’unique trait rouge, très appuyé, entre le père et sa fille
illustre de façon assez frappante la prédilection de Berthe Morisot pour cette couleur.
Concernant les commentaires de Yves Rouart et de Delphine Montalant sur la palette utilisée, il
est utile de rappeler ici les remarques de Dominique Bona dans son ouvrage Berthe
Morisot, le secret de la femme en noir, page 57, où elle évoque les débuts
du peintre, dans les années 1860 :
“Comme la plupart des impressionnistes, elle
préfère le vif, le cru. Le rose, le jaune, le blanc, le vert pomme ne lui
font pas peur. Ces tons-là sont dans sa nature.”
De nombreuses œuvres de Berthe
Morisot font appel à la couleur
rouge (voir ci-dessus). De plus, il est fréquent d’observer des empâtements
dans ses toiles. Bien que Souvenir des
Bords de l’Oise en présente plus que la plupart de ses autres œuvres, il
faut sans doute y voir sa façon de manier la brosse alors qu’elle n’en était
qu’à ses débuts. N’oublions pas que c’est à l’époque où elle a peint cette
toile qu’elle a rencontré Charles Daubigny
et Honoré Daumier, presque des
voisins. Le premier, c’est une évidence, a exercé une influence majeure sur
elle à cette période : son œuvre Hiver
(musée d’Orsay) présente de forts empâtements, ainsi qu’un ciel d’un vermillon
intense. Par ailleurs, Corot
lui-même, le maître de Berthe Morisot dans les années 1862-1863, n’a pas eu peur
d’effectuer des empâtements sur certaines de ses toiles.